25 Nov. 2019
Christopher Purves
« Qui ne rêve pas un jour de tenir le rôle du méchant ? » C’est par ces mots que le baryton basse Christopher Purves, interprète du rôle-titre de l’opéra Saül, ouvre cette conversation fleuve avec Tchât. Moments choisis et portrait d’un artiste hors normes, que vous pourrez retrouver sur la scène du Châtelet en janvier 2020.
Barrie Kosky considère que pour jouer Haendel, il faut le regarder droit dans les yeux : comment avez-vous fait face à Saül dans l’opéra éponyme que vous jouerez sur la scène du Châtelet ?
Avec un compositeur aussi génial que Haendel, il existe toujours des marges, des espaces de liberté pour que chacun puisse proposer son interprétation personnelle de la pièce. Il n’est jamais prescriptif, n’oblige pas à emprunter tel ou tel chemin, il laisse l’opportunité aux interprètes de véritablement jouer avec sa partition. L’histoire de Saül telle qu’écrite par Charles Jennens (NDLR : auteur du livret) est tellement théâtrale que les chanteurs n’ont qu’à accepter l’intensité dramatique qui se révèle d’elle-même. Je n’ai eu qu’à me laisser aller, donnant libre cours à la part de folie qui m’habite. Dans la pièce, le personnage de Saül ne chante pas si souvent, sa partition est bien moins dense que celle de la plupart des rôles-titres des grands opéras. Pour moi, la clé était donc d’arriver à faire vivre son personnage et le récit de son glissement vers la folie indépendamment de sa présence ou non sur scène. Barrie m’a offert cette possibilité de rendre Saül omniprésent, dans la tête de chaque spectateur, que je sois face au public ou non.
Vous avez déjà évoqué votre relation artistique unique avec le metteur en scène Richard Jones ? Qu’en est-il de Barrie Kosky dont la direction d’acteurs est saluée dans le monde entier ?
Richard Jones et Barrie Kosky sont très exigeants, mobilisant une énergie que vous ne vous soupçonniez pas posséder. Ils vous demandent d’aller chercher là où vous ne pensiez rien pouvoir trouver, vous laissant tout le temps et l’espace nécessaire pour y parvenir. Jouer Wozzeck sous la direction de Richard fut une expérience extraordinaire, libératrice : j’ai d’abord mobilisé toute ma panoplie d’acteur, tous mes « trucs », pour progressivement les abandonner les uns après les autres et débarrasser le personnage de toute pensée ou geste superflus. Et c’est ainsi que Wozzeck s’est révélé dans sa vérité, ballotté tel un petit esquif perdu sur l’océan immense, sans possibilité de rejoindre la terre ferme.
Barrie, lui, a semé la graine de la folie dans ma tête et m’a guidé sur les chemins de la destruction intérieure. A certains moments, la peur existait de devoir jouer un Saül délirant, sombrant dans la folie. Mais c’est pour cela que nous avons choisi ce métier, pour cette opportunité unique d’aller explorer certains pans de l’existence que nous n’aurions pas connus dans nos vies personnelles.
Le Théâtre du Châtelet se tourne vers de nouveaux publics. Vous qui avez eu une première carrière de chanteur pop et joué devant des foules enthousiastes, que pensez-vous des spectateurs qui viennent vous voir à l’opéra ?
Pour moi, avec un peu d’ouverture, tout le monde devrait aimer à peu près tout. Personne ne devrait se laisser enfermer par des préjugés, que ce soit pour dire « l’opéra, ce n’est pas pour moi, c’est trop élitiste, je ne vais rien comprendre » ou « le rap n’est qu’une musique criarde et sans mélodie ». J’ai reçu une éducation assez classique, passé énormément de temps à l’église pour chanter dans des chœurs. Tout cela pour finir dans un groupe de rock’n’roll ! Simplement parce que j’aimais cette vibration, cette excitation, la décharge d’adrénaline et la passion du public. J’ai réalisé qu’au final nous nous ressemblions tous beaucoup, que nous étions traversés par les mêmes angoisses, effrayés par la nouveauté et l’inconnu, inquiets d’être démasqués, de ne pas savoir quoi dire ou comment faire. Mais j’ai aussi fini par comprendre que ce n’était pas si grave de ne pas avoir toutes les réponses, de ne pas savoir satisfaire immédiatement les attentes d’un chef ou d’un metteur en scène : nous avons tous des talents, certains plus que d’autres peut-être, mais nous sommes tous légitimes et capables.
Qu’avez-vous à dire à ceux que l’opéra effraie ?
Tout au long de ma carrière, j’ai découvert que les gens préféraient ignorer les choses qu’ils ne comprenaient pas plutôt que de demander à d’autres de les aider et de les leur expliquer. C’est exactement le cas pour l’opéra. Je propose à tous ceux qui considèrent que l’opéra n’est pas pour eux de relever un défi simple : venez voir Saül et jurez, la main sur le cœur, que rien ne vous aura touché ou plu. Et au pire, qu’aurez-vous perdu ? 70€ que vous auriez dépensés pour un restaurant et trois heures de votre vie que vous auriez passées à errer sur Facebook. Un peu de courage !
Vous comptez à votre palmarès de nombreux rôles de « bad guy » : Méphistophélès, Nick Shadow, Walt Disney. Qu’est-ce qui vous plait tant chez ces personnages ? Prennent-ils parfois le dessus sur le vrai Christopher Purves ?
Qui ne rêve pas un jour de tenir le rôle du méchant ? Tous les univers artistiques, musique, cinéma, littérature, sont truffés de méchants tous plus attirants les uns que les autres. Ils ont même fini par montrer la part sombre de James Bond alors qu’il est l’artisan du combat du bien contre le mal. Chacun de nous peut se laisser envahir par des pensées sombres, dérangeantes, nous aspirons tous un jour à des choses inavouables, voire illégales pour certaines. J’ai appris à plonger dans ces pensées pour les faire apparaître sur scène et leur donner ainsi corps comme s’il s’agissait de quelqu’un de normal que vous rencontreriez dans la rue. Je me demande quelle a été son éducation, ce qu’il aimait quand il était enfant, s’il a peiné à trouver l’amour, s’il a commencé à boire trop jeune : toutes ces questions, ces aspérités qui, in fine, donnent vie à un personnage et le rendent presque réel. Il faut se poser ces questions pour se mettre vraiment dans la peau d’un personnage. Je m’appuie sur mes propres doutes et insécurités. À tel point que cela devient parfois douloureux, mais n’est-ce pas ce qui rend mon jeu plus intéressant ?
Par SABIR
« Qui ne rêve pas un jour de tenir le rôle du méchant ? »