Donner à voir, c’est gagner en humanité. Voilà, au fond, ce que disent les enseignants et les artistes engagés au sein du programme la Fabrique Citoyenne Artistique. Lancée en 2019, la Fabrique Citoyenne Artistique permet à 200 élèves du Grand Paris d’assister à des spectacles au Théâtre du Châtelet et de participer à des ateliers artistiques et de réflexions citoyennes.
Donner à voir, c’est rendre accessible. « Plus de la moitié de ma classe avoue n’avoir jamais mis les pieds dans un théâtre, déclare Gisèle Monteil, enseignante au lycée Madeleine Vionnet de Bondy. Nombreux sont les élèves qui pensent que ce type de lieu est réservé à une certaine catégorie de la population et qu’ils n’y ont pas leur place.»
L’enseignant et l’artiste ont un rôle déterminant. Sakina Benazzouz, enseignante au lycée Voillaume d’Aulnay-sous-Bois se voit comme une « accompagnatrice » permettant de « faciliter l’engouement dont les élèves sont porteurs mais qu’ils n’osent pas toujours exprimer par manque de confiance en eux ou simplement car l’occasion ne leur a pas été offerte.»
Donner une place à l’autre, c’est valoriser son parcours à travers le jeu de miroirs qu’offre la création. « Le théâtre musical, surtout celui qui se produit au Châtelet, est un relais entre la modernité des jeunes et la création artistique globale » déclare Sonia Bordé, enseignante au lycée Jacquard dans le 19e arrondissement. « Les faire évoluer dans un milieu artistique pluriel, enrichir leur savoir et faire tomber les préjugés » sont les raisons de son engagement.
Au fil des mois, la Fabrique Citoyenne Artistique a su modifier les comportements des élèves. « Dès octobre, certains automatismes liés au savoir-être étaient acquis déclare Gisèle Monteil. Des effets très positifs ont été ressentis lors de leur premier stage de fin d’année. Nos élèves ont été félicités par leurs tuteurs professionnels pour leur attitude irréprochable.» Selon elle, les adolescents sont mis en mouvement grâce au programme qui développe « savoir-être (respect, capacité d’adaptation, sens du relationnel, travail d’équipe) et savoir-faire (collecte d’informations, compte rendu d’activités).» Cette dynamique infuse au sein de l’établissement scolaire. « La Fabrique Citoyenne Artistique nous permet de travailler en transversalité avec les professeurs d’anglais, d’arts appliqués, de lettres, d’histoire et de gestion.»
Les élèves ont été nourris en profondeur par les trois spectacles, selon l’enseignante du lycée Jacquard. « Camus les aide à réfléchir à la société qu’ils veulent, Broadway dévoile le génie humain et Haendel les porte vers la spiritualité.»
Certains enseignants ont noté des changements de représentation du théâtre chez leurs élèves. « Démarrer par Les Justes a été judicieux, dit Leila El Hah du lycée Prony d’Asnières-sur-Seine. L’œuvre aborde des thèmes qui les touchent : le bonheur, la justice, le terrorisme. ‹ Si c’est ça le théâtre, je veux bien y retourner › m’a dit un élève.»
Et si leur univers était en expansion… « La Fabrique Citoyenne Artistique montre aux adolescents que le monde peut-être plus grand », dit Simon Rembado, intervenant artistique.
Donner à voir, à ressentir, à participer sont bien une question de complicité. Elèves et intervenants artistiques reçoivent et s’enrichissent mutuellement. « En tant qu’artiste, il est important de se rappeler à qui l’on parle, déclare Antoine Prud’homme de la Boussinière. Faire en sorte qu’une œuvre parvienne, constater la distance qui peut la séparer de son public nourrit ma propre pratique.»
Aux yeux des artistes et des enseignants, ce que la Fabrique Citoyenne Artistique offre aux jeunes c’est la culture de la curiosité et de l’ouverture aux autres. « Les élèves sont conduits à s’ouvrir à un univers différent.»
Un cercle vertueux qui suscite « la curiosité, le plaisir, un esprit de cohésion » et les aidera à « devenir des citoyens concernés.» « Par ce type d’expérience, conclut l’enseignante du lycée Voillaume, les conditions sont réunies pour une société plus ouverte et plus juste.»
Par Caroline Boidé