5 Mars 2020

Article

Thomas Amouroux

Le collectif au cœur

L’œuvre du musicien (Blur, Gorillaz) et compositeur Damon Alban (Monkey: Journey To The West, Dr Dee, wonder.land) a été présentée au Manchester International Festival, au Lincoln Center Festival, à l’ENO, au Spoleto Festival et au National Theater. Le Vol du Boli signe son grand retour à Paris où le Théâtre du Châtelet lui offre une véritable carte blanche. Damon Albarn s’entoure d’artistes venus de tous horizons pour relever un défi sans précédent. Échange avec un créateur hors pair.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce projet et sur ce qui vous a amené à créer Le Vol du Boli ?
Quand la direction du Théâtre du Châtelet m’a proposé de créer un opéra du XXIe siècle, j’avais mille idées à la seconde. La question du panafricanisme l’a d’abord emporté, mais au final, j’ai pensé plus juste de réfléchir aux relations et à l’histoire si particulière qui unit l’Europe et l’Afrique. Je travaille depuis des années avec des musiciens d’Afrique de l’Ouest. J’ai une affection particulière pour le Mali et Bamako, c’est d’ailleurs là que je m’installerais si je devais vivre en Afrique, là que vivent et travaillent mes amis. Mais j’ai réalisé dès le début que pour ce projet qui ne ressemble à aucun autre, il fallait quelqu’un pour porter auprès de moi un regard et un vécu africains. Cela ne pouvait pas juste être moi, je ne suis pas naturellement légitime ou qualifié pour cela.

Ces dernières années, vous avez été à l’initiative de plusieurs projets collaboratifs, qui réunissent des artistes d’horizons très différents autour d’envies communes. Quelle place accordez- vous à la rencontre et à la coopération dans le processus de création ?
Je crois profondément que c’est la rencontre de tous avec tous qui produit quelque chose, le fait de réunir et de faire travailler ensemble des musiciens, des acteurs, des créateurs. Au fond, Le Vol du Boli s’apparente à une workshop piece, une œuvre d’ateliers. J’ai toujours cru dans le travail en ateliers, dans une création par l’échange. La force de ce processus, c’est de mettre de côté les égos, les individualités, au bénéfice du collectif. Chacun doit faire preuve d’ouverture d’esprit, d’écoute, respecter les intuitions et les sensibilités des autres. C’est quand ce collectif artistique peut réellement s’exprimer que naissent les créations les plus justes. C’est dans cet état d’esprit que nous travaillons depuis deux ans, en faisant collaborer autant de personnes, avec autant de diversité artistique… Je me vois comme un simple coordinateur !

Avec Le Vol du Boli, vous abordez des épisodes historiques douloureux, pour certains encore polémiques. Comment partager cette mémoire sans blesser, placer le curseur du récit avec justesse pour laisser place au dialogue et à la compréhension plutôt qu’à la violence ?
Crier n’est pas une solution, c’est certain, il faut l’éviter par tous les moyens. En cela, le processus d’ateliers que j’évoquais auparavant est une chance : il n’est pas possible de crier, d’être outrancier, lorsqu’on est entouré par autant de personnes. À tout instant, quelqu’un peut dire « stop », on retire cela, on s’est trompé, revenons en arrière. C’est comme lorsqu’on se retrouve devant plusieurs portes, on en choisit une et on s’avance. Et même si au final ce n’est pas la bonne voie, cette tentative nous aura transformés. C’est ainsi qu’on a fonctionné lors de ces deux années de travail. Cela ne ressemble à rien de ce que j’ai pu faire jusqu’ici.

Propos recueillis par Sabir

Interview de Damon Albarn

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