10 Mai 2024
Le Lindy Hop
Danse de libération
Dans les années 30 aux États-Unis, la danse mute de passe-temps social à performance spectaculaire : après le charleston, naît le lindy hop.
« En 1925, la vogue du charleston est telle que l’Amérique le danse partout […]. Il va représenter un tournant significatif dans l’évolution de la danse sociale américaine. Avec lui disparaît une façon correcte de danser, chacun pouvant alors faire preuve d’improvisation et de créativité individuelle. Symbole de la liberté, la vogue du charleston cessera avec la grande crise économique de 1929 […]. Avec le krach boursier, les Américains découvrent le marasme économique et la misère urbaine. Le monde du spectacle n’échappe pas à la crise économique […]. L’institutionnalisation de grands orchestres spectaculaires est alors un moyen pour le gouvernement de Roosevelt de résoudre le chômage des musiciens. La cristallisation de la formule de quinze à vingt musiciens dans l’industrie du spectacle va rencontrer le succès, et les grosses formations vont s’avérer rentables dans les shows de Broadway. Les big bands représentent de surcroît un prodigieux soutien à la pratique de la danse, une activité peu onéreuse et hautement satisfaisante, capable de chasser les idées noires d’un public qui tente d’oublier la récession en s’étourdissant dans le mouvement, le bruit et l’ivresse de la danse. […]
Swing en mouvement
À Harlem, le plus célèbre des dancings, le Savoy Ballroom, surnommé » la maison des pieds heureux » […] va devenir rapidement une institution, un temple voué à la culture jazz, à la musique et à la danse swing, et plus particulièrement au lindy hop dont il sera la plus belle vitrine. […] Évoquer le lindy hop, première danse vernaculaire noire à avoir été créée dans le Nord sans avoir été importée du Sud, c’est évoquer encore une fois une danse hybride entre traditions euroaméricaines et traditions afro-américaines, un équilibre délicat entre improvisation, raffinement, prouesses acrobatiques et aisance. Le lindy hop était de la musique swing en mouvement et […] accordait une égale importance aux éléments improvisés et aux structures préchorégraphiées. […] Les corps se touchaient à peine, aussi pouvait-il être difficilement taxé par les Blancs de » sensualité primitive » comme avaient pu l’être les autres danses noires avant lui. Nombreux sont ceux qui l’ont interprétée comme une danse de libération, un moyen de se rebeller contre une société mécanisée, très répressive, de reprendre possession du corps humain, blanc et noir, d’en faire un lieu de jubilation et de pouvoir, un espace de démonstration athlétique et esthétique. »
Extraits de :
Éliane Seguin, Danses jazz : une poétique de la relation, Pantin, Centre national de la danse, 2018.